Pourquoi ai-je choisi le soin comme métier ?
J’ai fais un chemin dans la médecine sans trop d’encombres à priori alors qu’à l’intérieur j’ai traversé des bouleversements incessants, des tempêtes de peurs, de doute, des moments difficiles et d’autres moments féconds.
Un évènement ou une situation difficile qui vous a marqué dans votre parcours
professionnel ? (Confrontation, obstacle, agression, traumatisme, remise en question...)
Je ne peux pas dire que je n’ai fais que lutter mais il a fallu me battre souvent pour donner le LA , exprimer ma part d’être, déployer ma contribution sans me trahir.
Je n’aurais pas imaginé que ce fut aussi long et douloureux de parvenir. Accorder mes pensées sur mes actes, mes actes sur mes fonctions, mon coeur sur ma raison et mélanger tout cela pour travailler à peu près correctement
L’essentiel était l’amour. Cette notion qui ne m’a pas quittée c’était celle que sans amour tout dépérit et que lui seul fait le liant qui permet à toute symphonie de s’exprimer: symphonie de l’être, symphonie du vivant, symphonie de la médecine, symphonie des équipes.
En écrivant cela quelque chose semble donner faux : symphonie de la médecine comme si cela était réservé à ce qui sépare parcelle fragmente et peu importe la qualité des liens, l’intention du cœur. Un médecin soigne et si il est froid dur, méchant au fond on s’en fiche puisqu’il doit bien opérer, prescrire le bon médicament et c’est tout.
Oui mais là aussi mon souffle s’insurge : aucune thérapeutique ne peut marcher totalement si celui qui l’administre n’est pas relié par l’intention du cœur à celui qui reçoit.
Je m’explique : si une femme qui a un cancer se voit annoncer froidement son cancer sans égards , va-t-elle suivre son protocole de chimio sereinement , en confiance? Un homme qui a un genou invalide pour de l’arthrose qui se voit maltraité parce qu’il est obèse va t- il accepter facilement un programme de perte de poids pour pouvoir un jour mettre une prothèse?
Et je ne parle pas de la psychiatrie où l’on demande à des personnes de ne pas être parano alors qu’on leur impose des soins non consentis. Sans humanité la pilule est beaucoup plus dure à avaler.
Mais l’humanité, ce truc qui semble forfaitaire, en option, ça prend du temps. Ça demande de la nuance, du doute, de l’écoute. Ce n’est pas une posture dominante mais au contraire très humble. Cela gêne, cela fait peur, cela peut donner un sentiment de nullité aux autres, quelqu’un d’humain. Ça ne sait pas , ça hésite, ça prend le poul et ça interroge les autres, le temps, et l’intuition parfois .
C’est ce qui nourrit la confiance, c’est ce qui détend pourtant . Les attitudes dominantes patriarcales, orgueilleuses ça crée une tension entre vous et l’autre, un mur. Il n’y a plus de place pour exister. On se soumet ou on se rebelle. Mais ça ne se relie pas, ça n’échange pas, ça ne grandit pas ensemble.
Cette humanité je l’ai apprise au Maroc, dans une culture arabe andalouse , celle de la Convivence ce terme qui dit l’art de vivre ensemble. Ça se chante dans la Maghreb et en Israël, c’est un liant un ciment qui imprègne encore aujourd’hui des communautés et des familles.
La crise sanitaire actuelle liée à ce virus Covid 19 a révélé qu’au Maroc la coordination l’entraide et les solutions se sont révélées bigrement efficaces à l’heure où en France des débats et des manques de moyens clivaient le pays en pour ou contre telle figure d’autorité alors que l’essentiel manquait : se sentir considéré soutenu avec des actes qui decoulent d’une telle volonté de soin et de prendre soin. Trouver des masques était une source de conflits et de vols . Au Maroc le roi en a fait fabriquer tellement qu’ils débordaient des supermarchés. C’est tout bête mais prendre soin “ taking care” en Anglais, c’est à travers des choses concrètes et notamment qui passent par le corps. Les Maman’s Savent cela. Prendre soin de son enfant c’est lui caresser les cheveux, le couvrir si il a froid, c’est lui donner les moyens de se protéger .
L’amour plus fort que le Mépris et l’indifférence. Cette crise nous l’a montré plus que jamais. Se sentir aimé c’est le terreau qui fait grandir les enfants mais qui diminue aussi le stress les peurs et le système Immunitaire. Un câlin à un si fort pouvoir de guérison, je n’ai eu de cesse dans mon parcours de psychiatre de tenter de démontrer cela et mon dernier ouvrage était dédicacé à Amma, cette sainte qui enserre le Monde. Pour y parler de psychiatrie . Il fallait néanmoins passer par la science pour qu’on m’écoute. Un peu.
Comment l'avez-vous accueilli, transformé ou pas ?
Le câlin c’est ce qu’on peut nommer la pleine conscience que des médecins ont fait rentrer dans le vocabulaire médical : accueillir sans jugement délibérément la réalité et notamment l’autre . Avec curiosité et sans réactivité . C’est explorer , embrasser.
C’est par ce biais que je fais entrer un peu de ce que mon coeur me pousse à introduire dans la médecine et la psychiatrie. Je passe par des termes scientifiques, des conférences, des diaporamas hérités d’une médecine universitaire et cartésienne pour dire combien le peu d’amour souvent à travers la maltraitante infantile va causer de gros dégâts et peut être une grande majorité des troubles psychologiques à l’âge adulte et combien guérir les psychotraumas par certaines techniques mais surtout la compassion va guérir profondément. Et pas que les patients: les équipes. Maltraitées elles aussi soit dans leurs histoires soit par le système , elles ne peuvent donner le meilleur, se clivant les unes contre les autre parfois au lieu d’unir ensemble leurs forces pour soigner. Se soigner soi même.
Qu'est-ce que vous proposez de manière concrète dans cette médecine du futur pour éviter ce type d’évènement ?
- Décrivez deux ou trois mesures -
Guérir son cœur, voilà déjà le premier chemin. S’asseoir et méditer. Ouvrir son âme à ce qui est doux et au delà des mots. Retrouver son innocence. Eh enfanter la richesse d’être au monde et d’apporter sa touche pour l’harmonie. Contribuer au meilleur. Voilà selon moi le sacerdoce d’une femme. Et d’un homme si il écoute le merveilleux en lui. Le monde n’est pas une série de problèmes à résoudre, telles des mécaniques. Mais une formidable aventure à vivre ensemble . Et la bienveillance, la connexion qui vient de l’engagement pour autrui dans le respect n’est pas l’apanage des plus forts, des plus grandes gueules mais parfois des plus discrets. Redonner une place aux femmes c’est laisser un peu de silence pour qu’elles puissent prendre la parole sans forcer. C’est oser l’incertitude et faire confiance à l’intelligence collective qui vient du coeur.
Yasmine Lienard,
Psychiatre, psychothérapeute, auteure et créatrice de Esprit Clair, organisme de formation aux pratiques de pleine conscience
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